décembre 2024

Plus jamais de pandémie ?

En août, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le mpox, anciennement appelé variole du singe, urgence de santé publique de portée internationale pour la deuxième année consécutive. Et ce, après que la flambée d’infections virales en République démocratique du Congo s’est propagée aux pays voisins, y compris le Cameroun et la République centrafricaine où FAIRMED est présente. Au Cameroun, il s’est avéré que le système moderne de surveillance des maladies, que FAIRMED a contribué à mettre au point, constituait un outil efficace pour empêcher la propagation du virus dans le pays et au-delà des frontières, jusqu’en Suisse.

« Tout a commencé par la lèpre », explique le Dr Alphonse Um Boock, spécialiste depuis de nombreuses années de la lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN) au sein de FAIRMED. « Si nous sommes parvenus à déclarer la lèpre éliminée au Cameroun en 2002 et en République centrafricaine en 2003, c’est grâce à l’étroite collaboration des gouvernements avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les organisations de santé internationales telles que FAIRMED », poursuit Alphonse Um Boock avant d’ajouter avec fierté : « oui, FAIRMED a joué un rôle déterminant dans l’élimination de la lèpre au Cameroun ». Une maladie est considérée comme éliminée lorsque son taux de prévalence est inférieur à 1 cas pour 10 000 habitants. « Quand une maladie est déclarée éliminée, cela signifie qu’elle ne constitue plus un problème de santé publique, mais pas que la maladie ne touche plus personne », précise Alphonse Um Boock. « Il peut même arriver que de nouvelles flambées se déclarent parce que la maladie ne figure plus au centre de l’attention. » À l’heure actuelle, environ 500 personnes sont officiellement enregistrées comme atteintes de la lèpre au Cameroun et environ 700 en République centrafricaine. Pour le reste, nous ne pouvons que faire des suppositions

Élimination ne veut pas dire éradication

« Quand la lèpre a été déclarée éliminée, le gouvernement camerounais a mis en place un nouveau programme national qui, tout en maintenant la surveillance de la lèpre, se concentrait davantage sur une maladie nouvellement découverte : l’ulcère de Buruli, une MTN cutanée contagieuse aux conséquences potentiellement dévastatrices », poursuit Alphonse Um Boock. « Quand en 2015 nous avons discuté de la surveillance de ces maladies lors d’une réunion avec des spécialistes de l’OMS, il est apparu clairement que celles-ci n’étaient pas à prendre en compte individuellement, mais que nous devions mettre au point une méthode nous permettant de les surveiller dans leur ensemble. Car nous avions constaté lors de nos visites sur le terrain que nous trouvions certes les maladies qui nous intéressaient, mais également de nombreuses autres auxquelles nous n’étions pas préparés. » Sur les 21 MTN désormais répertoriées par l’OMS, 15 ont été observées au Cameroun et en République centrafricaine, y compris la lèpre, l’ulcère de Buruli et le pian pour ne citer que les plus connues. « S’agissant principalement de maladies de peau contagieuses qui se propagent au sein de communautés démunies, malnutries et vivant dans de mauvaises conditions d’hygiène, il est apparu évident que nous ne pouvions plus dépister ces maladies individuellement, mais que nous devions les recenser ensemble, en tant que MTN. » C’est ainsi que FAIRMED s’est impliquée dans la mise au point de nouvelles méthodes de surveillance combinant le suivi et le contrôle des MTN cutanées. Quatre méthodes intégrées de ce type ont été testées entre 2017 et 2021 au Cameroun, au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire.

Un système permettant de surveiller la pandémie de Covid et l’épidémie de mpox

Désormais, le Cameroun a introduit ce système de surveillance intégré des MTN cutanées dans vingt districts sanitaires. « Pour lutter contre les principales maladies contagieuses, il est essentiel de disposer d’un système de surveillance national efficace. Un système qui puisse servir de base à la prise de décisions de santé publique, y compris l’identification des priorités, la planification, la mobilisation et l’affectation des ressources ainsi que la prévision et la détection précoce des épidémies », explique Alphonse Um Boock. « Ce système de surveillance est même suffisamment sensible pour détecter d’autres maladies que les MTN. Pendant la pandémie de Covid-19, il nous a permis de suivre l’évolution des cas et actuellement, il nous aide à enregistrer les infections de mpox et ainsi à maîtriser l’épidémie. » À l’heure actuelle (18 octobre 2024), 98 cas suspects de mpox sont connus au Cameroun, 6 ont été confirmés et 2 personnes sont mortes de la maladie.

Une couverture Internet insuffisante en République centrafricaine

Le système intégré de surveillance des MTN au Cameroun, appelé District Health Information System (système d’information sanitaire du district), est accessible à tous. FAIRMED a grandement contribué à sa mise au point, formé le personnel à son utilisation et établi les formulaires correspondants. Nous demandons à Alphonse Um Boock s’il existe un système de surveillance comparable dans le pays voisin, la République centrafricaine. « Ça serait super, mais c’est malheureusement impossible car le réseau électrique et la couverture Internet sont insuffisants, et l’État, instable politiquement et ravagé par la guerre, n’a pas les moyens de mettre en place les infrastructures nécessaires », soupire Alphonse Um Boock.

Autrement dit, toutes les mesures n’ont pas été prises, loin s’en faut, pour prévenir efficacement les épidémies. « Nous pouvons encore améliorer la communication au sein des communautés », suggère Alphonse Um Boock. Il faudrait que les messages diffusés auprès de la population soient élaborés exclusivement par des spécialistes de la santé et émis via différents canaux (affiches, messages radio ou actions de communication sur les marchés). Toutefois, au sein des communautés, les croyances, rumeurs et traditions au sujet des affections cutanées, MTN et autres campagnes sanitaires telles que la vaccination sont tenaces. De plus, les communautés traditionnelles rejettent souvent les formes « modernes » de communication ou ne peuvent recevoir les messages car elles ne disposent pas des appareils nécessaires, tels que smartphones ou tablettes. « Le principal problème, c’est que les communautés ne s’identifient pas aux contenus communiqués par les autorités sanitaires et refusent par conséquent d’appliquer les directives », ajoute Alphonse Um Boock. C’est pourquoi FAIRMED ne peut contribuer de manière aussi efficace à la prévention et à la lutte contre les épidémies. « Cependant, les collaborateurs et collaboratrices que nous envoyons sur le terrain, au sein des communautés villageoises, sont tous des locaux. Un statut qui permet de s’adresser d’égal à égal aux habitants, de les informer sur les maladies et d’intégrer les communautés aux programmes de santé dès le départ. »

Tenir compte de l’importance des religions

« La prévention des épidémies nécessite une compréhension approfondie des comportements et pratiques à risque au sein des communautés concernées. Il est important de tenir compte de l’influence des religions et d’établir une relation de confiance avec les guérisseurs traditionnels », explique Alphonse Um Boock. Il est également essentiel d’impliquer les communautés et d’aller au-delà de la simple diffusion de spots de sensibilisation à la radio ou à la télévision. « Le plus important est de sensibiliser les habitants aux comportements à risque et de renforcer l’engagement des communautés tout en favorisant leur autonomisation. Nous devons mettre tout en œuvre pour surmonter le déni et la stigmatisation des maladies », poursuit Alphonse Um Boock. « Pour ce faire, nous pouvons compter sur les groupes d’entraide, notamment ceux établis par FAIRMED. Le principe est simple : d’anciens patients viennent parler de leur maladie pour apprendre à d’autres malades à vivre avec leur pathologie. »

Les zoonoses – maladies transmises à l’humain par les animaux – sont un enjeu de taille, particulièrement au regard des récentes épidémies qui ont frappé le monde entier. La consommation de viande (viande d’animaux sauvages tels que le singe ou le porc-épic) constitue l’une des principales sources de transmission, explique Alphonse Um Boock. « Pour éviter que de telles maladies ne se propagent, nous devons travailler main dans la main avec les gérants des restaurants locaux, qui sont souvent actifs dans le commerce de viande de brousse. » Les négociants, communément appelés « buyam sellams », constituent le principal groupe cible dans cette filière. Ils doivent être sensibilisés aux risques sanitaires liés aux zoonoses.

Pourra-t-on prévenir les épidémies à l’avenir ?

« Étant donné que jusqu’à présent, la plupart des épidémies ont été causées par des zoonoses, il est important d’intégrer les aspects environnementaux et la médecine vétérinaire dans la prévention des épidémies », indique Alphonse Um Boock. L’approche « One Health » (une santé) s’inscrit dans le cadre de sécurité sanitaire mondiale et vise à rendre le monde plus sûr en renforçant les moyens à la disposition de la communauté internationale pour prévenir, détecter et réagir aux épidémies de maladies infectieuses. « Si nous voulons éviter l’émergence de situations sanitaires dramatiques à l’avenir, il est essentiel que les différents organes gouvernementaux – ministères de la Santé, de l’Environnement, de l’Agriculture et autres – travaillent en collaboration et que le lien entre les différents agents pathogènes et la propagation des maladies soit mieux connu et compris au sein des districts et des communautés. » En ce sens, l’approche « One Health » peut nous aider à analyser les maladies et leurs agents pathogènes sous différents angles, et à proposer des mesures efficaces non seulement sur le plan de la santé humaine, mais aussi des soins vétérinaires et de l’écologie. « Si nous poursuivons nos efforts dans ces domaines – avec l’aide notamment des collaborateurs et collaboratrices FAIRMED, qui travaillent dur chaque jour sur le terrain pour sensibiliser les communautés –, nous devrions parvenir à une prise de conscience suffisante au sein de la population pour étouffer dans l’œuf les épidémies futures ! »

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